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Le cri (seconde partie et fin)


Le cri

 

 

 

Je m’étais absenté pendant une semaine et je me demandai s’il serait là. Mais je ne me doutai pas qu’il m’attendait.

-                  « T’as disparu ! »

J’essayais de profiter de cette forme plus ou moins ouverte de question pour tenter d’amorcer le dialogue.

-                  « Je suis allé passer une semaine à Paris pour mon boulot, j’aurais dû te laisser quelques ‘cibiches’, mais mon départ a été précipité ! »

Mais rien ne sortit de sa bouche.

 

Je n’arrivais pas à retrouver mes rêvasseries, il avait rompu le charme.

Alors, un soir, n’y tenant plus, je lui ai demandé :

-                  « T’étais marin ? »

Il sursauta et pour la première fois, son regard glauque se posa sur moi.

-                  « Où t’as été chercher ça ? J’étais pas marin, j’étais charcutier. »

Ca m’a foutu un sacré coup au moral, mais il s’était mis à parler, je voulais qu’il continue, quitte à briser encore plus mes rêves fragiles.

-                  « Et Maria, ta fille, pourquoi tu l’appelles ici ? »

Ce que j’avais prévu advint, ils se referma sur lui-même et me laissa seul avant qu’on ait fini de partager notre cigarillos.

 

Les jours qui suivirent, il ne revint pas. Je fumai seul mon cigarillos, tristement coupable de l’avoir bousculé de ma curiosité.

Au bout de deux semaines, je ne descendis plus, je restai à ma fenêtre à le guetter en vain.

 

Il faisait encore beau sur Brest, et j’aimais bien fumer ainsi à ma fenêtre en regardant passer ceux que j’appelais les ‘pedibus cum jambis’ en souvenir de mes cours de latin.

Je sentis une présence à mon côté et j’en fus étonné car je n’avais pas entendu s’ouvrir la porte et, de toutes façons, je n’attendais personne qui puisse, ainsi, s’introduire chez moi, bien que j’oublie de façon récursive de fermer ma porte à clef. Je ne fis pas vraiment un bond, mais je m’écartai suffisamment pour ne plus sentir cette présence.

C’était une petite fille toute rose y comprit sa jupe plissée et son corsage de tulle. Elle n’était ni menaçante ni gênée, elle me regardait comme si nous nous connaissions de longue date alors que je ne l’avais jamais vue ni croisée auparavant.

-                  « Qui es-tu et comment es-tu entrée ici ? »

-                  « Je suis Maria. » Me répondit-elle sans sourciller.

-                  « Tu ne peux pas être la fille du vieux monsieur qui venait le soir, tu es trop jeune. »

-                  « Je suis sa petite fille, ma maman s’appelait Maria aussi. »

-                  « Et comment et pourquoi es-tu entrée chez moi ? »

Elle s’éloigna de la fenêtre et alla droit vers mon chevalet.

-                  « J’aime bien ce que tu peins. »

-                  « Merci, j’apprécie ton compliment, mais j’aimerais aussi que tu répondes à mes questions ! »

Comme elle tendait la main vers le tableau sur le chevalet, je la mis en garde :

-                  « Non, ne touche pas, ce n’est pas sec et l’huile, tu sais, ça tache très fort, c’est très difficile à nettoyer et ta maman va te gronder ! »

-                  « Ma maman est morte, elle a été assassinée par son père. »

 

Un poids énorme s’abattit soudain sur moi ! Je ne savais que dire ni comment réagir à cette brutale confession. Qu’est-ce que cette gamine pouvait bien savoir, qu’avait-elle vécu, avait-elle été témoin du meurtre et dans quelles circonstances ….  Toutes ces questions ces incertitudes, ces possibles et ces improbables tourbillonnaient dans ma tête y mettant un invraisemblable désordre, un gigantesque capharnaüm mental !

    Elle avait prononcé sa sentence d’une petite voix de petite fille,  mais avec une assurance qui ne laissait pas de     place au doute. Je repris tant bien que mal mes esprits et tentai d’éclaircir la situation, après tout, l’adulte, c’était     moi.

C’est donc sur le ton d’un monsieur parlant à une petite fille que je lui demandai :

-                  « Pourquoi es-tu venue me raconter ça ? »

-                  « Parce que tu sembles bien l’aimer, mon grand-père. »

-                  « Tu sais, je le connais à peine, nous nous parlons que très peu et j’ai surtout été touché par sa détresse et sa solitude. »

-                  « Je sais. »

-                  « Ah ! bon, tu sais, et comment tu sais ça ? »

-                  « Parce que j’étais près de vous le long du mur. »

-                  « Mais ce n’est pas vrai, je ne t’ai jamais vue ! »

-                  « C’est parce que je suis morte, il nous a tuées toutes les deux. »

Je restai muet, estomaqué, abasourdi.

-                  « Je voudrais que tu me promettes de ne plus le revoir, c’est un mauvais homme et toi, tu es bon. »

Je n’eus pas le temps de répondre, elle venait de s’évanouir devant mes yeux incrédules.

 

Dehors, retentit un long cri déchirant et misérable.