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L'ARTISTE IMAGINAIRE

ACTE III - Scènes 11 à 12 Dominique Boucher
4 potere 2004

SCÈNE XI



Rigoberte, Odilon, Quinquin





Rigoberte - Allons, suffit ! Je suis une servante et non point une ribaude ; d’autant que je n’ai pas envie de rire.

Odilon - Qu’est-ce que c’est ?

Rigoberte - Ce marchand-là, ma foi ! qui voulait que je pose toute découverte pour faire de moi un nu.

Odilon - Voyez un peu, à l’âge de soixante dix-sept ans !

Quinquin - Allez ! mon frère, puisque voilà votre Monsieur Jambrouil brouillé avec vous, ne voulez-vous pas que nous nous entretenions du parti qui s’offre à ma nièce ?

Odilon - Non, mon frère : je veux l’envoyer dans quelque mission, pour la raison qu’elle s’est opposée à mes volontés. Je devine bien qu’il y a une amourette là-dessous, et j’ai découvert une certaine entrevue secrète, qu’on ne sait pas que j’ai percé à jour.

Quinquin - Quand bien même, mon frère, il y aurait une petit inclination, serait-ce si criminel, et cela peut-il vous offenser, quand tout ne va qu’à des choses honnêtes tel que le mariage ?

Odilon - Quoi qu’il en soit, mon frère, elle sera missionnaire, c’est une chose entendue.

Quinquin - Je vois que vous voulez faire plaisir à quelqu’un.

Odilon - Je comprends : vous en revenez toujours au même endroit, et vous visez une fois encore ma femme.

Quinquin - Hé bien ! Oui ! Mon frère, puisqu’il faut parler à cœur franc, c’est votre femme qui est en cause ; et pas plus que votre entêtement pour les marchands d’art, je ne puis vous accorder l’entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous tombez tête baissée dans chaque piège qu’elle vous tend.

Rigoberte - Ah ! Monsieur, ne parlez pas de Madame : c’est une épouse contre laquelle il n’y a rien à reprocher, une femme sans fuyants, et qui aime Monsieur, qui l’aime… on ne peut dire l’inverse.

Odilon - Interrogez-là sur les caresses qu’elle me fait.

Rigoberte - Cela est vrai.

Odilon - Les admirations qu’elle a pour mon art.

Rigoberte - Assurément.

Odilon - Et le soin qu’elle prend à libérer mon esprit pour sa pratique.

Rigoberte - Il est certain. Voulez-vous que je vous en apporte les preuves, en vous faisant voir à l’instant comme Madame aime Monsieur ? Monsieur, acceptez que je lui montre son erreur, pour qu’il comprenne le grand tort de son accusation.

Odilon - Comment ?

Rigoberte - Madame doit venir. Allongez-vous tout écartelé sur le canapé, et faites le mort. Vous apercevrez la douleur où elle sera, quand je lui dirai la nouvelle.

Odilon - Je t’accorde la comédie.

Rigoberte - Oui ; mais ne la laissez pas longtemps se désespérer, car elle pourrait bien nous jouer, elle, la Juliette.

Odilon - Laisse-moi faire.

Rigoberte (à Quinquin) - Dissimulez-vous, vous, dans ce coin-là.

Odilon - N’y a-t-il point un danger à faire le mort ?

Rigoberte - Ma foi ! non : quel danger y voyez-vous ? Étendez-vous ici seulement. (Tout bas). Nous aurons plaisir à confondre votre frère. Voici Madame. Cachez-vous bien.









SCÈNE XII



Ducarine, Rigoberte, Odilon, Quinquin





Rigoberte (s’écriant) - Ah ! Mon Dieu ! Ah !, le grand malheur ! Quel accident soudain et irréparable !

Ducarine - Qu’as-tu, Rigoberte ?

Rigoberte - Ah, Madame !

Ducarine - Mais quoi ?

Rigoberte - Monsieur votre mari est mort.

Ducarine - Mon mari, mort ?

Rigoberte - Hélas ! Oui. Le pauvre défunt est mort.

Ducarine - Vraiment ?

Rigoberte - Vraiment ! Personne ne comprend encore cet accident-là, et je me suis trouvé ici toute seule. Il vient de mourir entre mes bras. Tenez, le voilà de tout son long, les bras en croix, sur son canapé de repos.

Ducarine - Dieu en soit loué ! Me voilà donc et désormais délivré du grand fardeau. Pourquoi faire tant la bête, Rigoberte, en pleurant de la sorte sa mort ?

Rigoberte - Je pensais, Madame, qu’il fallût pleurer.

Ducarine - Bah ! cela ne vaut pas la peine que tu te donnes. Quelle perte que la sienne ? Et quelle importance que la sienne sur cette terre ? Un homme importun à chacun, fat, poseur, stupide, sans cesse un pinceau ou une couleur à la main pour barbouiller, peinturlurer, tacher tout ce qu’il touchait, un homme sans intelligence, barbifiant, de mauvaise humeur, épuisant son monde, et surtout sans aucun talent.

Rigoberte - Quelle belle oraison funèbre.

Ducarine - Il faut, Rigoberte, que tu me donnes la main dans mon projet, et tu ne peux douter qu’en me servant ta récompense est certaine. Parce que, et par bonheur, personne ne sait encore le grand bonheur qui nous échoit, portons cette dépouille dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’ai fait mes affaires. Il y a des documents, et tout l’argent dont je veux me saisir, et il n’est pas juste d’avoir passé toutes mes belles années auprès de ce faux-artiste sans en recevoir les plus beaux fruits. Viens, Rigoberte, prenons d’abord toutes ses clefs.

Odilon (se levant brusquement) - Pas si vite !

Ducarine (surprise et épouvantée) - Ahhhhh !

Odilon - Oui, Madame ma femme, c’est comme cela que vous m’aimez ?

Rigoberte - Ah ! Ah ! Le mort n’est pas mort.

Odilon (à Ducarine qui s’enfuit) - Je suis bien heureux de voir votre affection, et d’avoir entendu le bel éloge que vous avez fait de moi. Voilà un avertissement qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire encore beaucoup de choses vilaines.

Quinquin (sortant de l’endroit où il était caché) - Alors, mon frère, que vous avais-je dit ?

Rigoberte - Si j’avais seulement pensé cela, Monsieur ! Mais j’entends votre fille : remettez-vous dans votre position de comédie, et voyons de quelle manière elle recevra l’annonce de votre mort. C’est une chose qu’il n’est pas innocent de connaître ; et puisque vous êtes en train, vous connaîtrez par là les sentiments que votre famille porte sur vous.




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