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L'ARTISTE IMAGINAIRE

ACTE III - Scènes 13 à 14 Dominique Boucher
4 potere 2004

SCÈNE XIII



Pipelune, Rigoberte, Odilon, Quinquin





Rigoberte (s’écriant) - Ô Ciel ! Ah ! Fâcheux événement ! Malheureuse minute !

Pipelune - Qu’as-tu, Rigoberte, et quelle est la raison de tes larmes ?

Rigoberte - Hélas ! J’ai une si triste nouvelle à vous donner.

Pipelune - Hé quoi ?

Rigoberte - Monsieur votre père est mort.

Pipelune - Mon père est mort, Rigoberte ?

Rigoberte - Oui ; regardez-le, comme il semble endormi. Il vient de mourir d’une faiblesse au cœur.

Pipelune - Ô Ciel ! Quelle infortune ! Quelle blessure cruelle ! Hélas ! Faut-il que je perde mon père, la seule personne qui me restait au monde ? Plus encore, et en supplément à mon désespoir, que je le perde dans un moment où il était irrité contre moi ? Que vais-je devenir, avec cette si grande peine, et quelle consolation trouver à une si grande perte ?









SCÈNE XIV et dernière scène



Duralin, Pipelune, Rigoberte, Odilon, Quinquin





Duralin - Pourquoi cette figure, belle Pipelune ? Pourquoi toutes ces larmes ?

Pipelune - Hélas ! Je pleure tout ce que dans la vie j’avais de plus cher et de plus précieux : je verse toutes ces larmes sur la mort de mon père.

Duralin - Ciel ! Quel accident ! Quel drame inattendu ! Hélas ! Après la demande dont j’avais chargé votre oncle de lui faire pour moi, je venais me présenter à lui, et trouver le moyen grâce à mes respects et mes prières de disposer son cœur à m’accorder votre main.

Pipelune - Ah ! Duralin, ne parlons plus de notre passion commune. Abandonnons toutes les pensées du mariage. Suite à la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j’ai refusé tantôt d’obéir à vos volontés, je veux suivre pour le moins la dernière de vos intentions, et réparer ainsi le chagrin que je m’accuse de vous avoir donné. Acceptez, mon père, que je vous donne maintenant ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon amour.

Odilon (se levant) - Ah, ma fille !

Pipelune (effrayée) - Oh !

Odilon - Dans mes bras, ma fille. N’aie pas peur, je suis bien vivant. Allez, tu es de mon vrai sang, ma vraie fille ; et je suis satisfait d’avoir appris ton bon naturel.

Pipelune - Oh ! Mon père, quelle bonne surprise. Puisque par un grand bonheur le Ciel vous redonne à mon affection, souffrez ici que je me jette à vos pieds pour vous supplier d’une chose : si vous ne voulez pas céder à l’élan de mon cœur, si vous repoussez Duralin comme mon époux, je vous en conjure au moins de ne point me forcer à prendre un autre époux, et de m’expédier en quelque lointaine mission. C’est toute la grâce que j’implore de vous.

Duralin (se jetant à genoux) - Oui, Monsieur, laissez-vous prendre à nos prières, et ne vous montrez point retors aux mutuels empressements d’un si bel amour.

Quinquin - Mon frère, pouvez-vous seulement songer à résister à telles supplications ?

Rigoberte - Monsieur, resterez-vous insensible à tant de tendresse ?

Odilon - Qu’il se fasse marchand d’art, je consens au mariage. Oui, faites-vous marchand, je vous donne ma fille.

Duralin - Bien volontiers, Monsieur : s’il ne tient qu’à ce détail pour devenir votre gendre, je me fais sur le champ marchand d’art, et même de couleurs, si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferais tant d’autres choses pour obtenir la belle Pipelune.

Quinquin - Mais, mon frère, il m’arrive à l’esprit une pensée : faites-vous marchand d’art vous-même. Le confort sera bien davantage plus grand, d’avoir en vos mains tous les rouages de votre passion.

Rigoberte - Cela est tant vrai. Voilà le beau moyen d’obtenir cette renommée après laquelle vous courez toujours.

Odilon - Je crois, mon frère, que vous vous amusez de moi : suis-je d’un âge à reprendre le banc de l’étude ?

Quinquin - Bah ! Étudier ? Ne maîtrisez-vous point assez votre sujet ? Vos messieurs les marchands ne sont pas plus savants que vous l’êtes dans la matière de l’art qui vous préoccupe.

Odilon - Mais je ne parle pas la langue officielle, je ne connais pas l’histoire de l’art, ni le goût de l’acheteur.

Quinquin - En accrochant votre enseigne sur le mur de votre maison, vous saurez tout cela, et je promets que vous vous montrerez plus capables que vous ne le dites.

Odilon - Comment ? L’on sait tout de la marchandise quand on plante cette enseigne-là ?

Quinquin - Oui. Il suffit d’agir sous l’enseigne, et le moindre charabia devient discours véritable, l’insuffisance devient explication.

Rigoberte - Voyez, Monsieur, quand il n’y aurait que votre petit talent d’artiste, c’est déjà beaucoup, et le talent fait plus de la moitié d’un marchand.

Duralin - Quoiqu’il en soit, je réitère : je suis votre homme pour ce que vous voudrez.

Quinquin - Désirez-vous, mon frère, que la chose se fasse dans le moment ?

Odilon - Dans ce moment-ci ?

Quinquin - Oui, et sous votre toit.

Odilon - Sous mon toit ?

Quinquin - Pourquoi pas. J’ai dans mes relations l’aréopage des Beaux Arts de notre cité, qui convient de venir sur ma demande pour votre intronisation. La cérémonie ne vous coûtera que le bonjour.

Odilon - Et suite à ce bonjour, que dire, que répondre ?

Quinquin - La leçon sera brève, et quelque ouvrage écrit faisant autorité sera le conducteur de vos paroles. Allez à présent préparer vos amulettes picturales, je vais de mon côté chercher notre monde.

Odilon - J’y vais de ce pas.

Duralin - Où voulez-vous en venir avec cet aréopage de vos relations… ?

Rigoberte - Oui, Monsieur, quel est votre projet ?

Quinquin - Battre le fer alors qu’il est chaud. Mettre dans le bain Monsieur mon frère tandis qu’il a l’esprit amène. Et puis, après les émotions que nous venons d’éprouver, un petit divertissement préparé par mes amis ne fera de tort à personne. Amusons-nous quelque peu, et donnons à mon frère le premier rôle dans ce petit divertissement ; vous savez tous comme il apprécie d’être devant le monde.

Pipelune - Dites-moi, mon oncle, ne vous préparez-vous pas à vous moquer un peu de mon père ?

Quinquin - Sachez ma nièce que ce n’est pas tant se moquer de lui que de s’accorder à ses lubies. Faisons lui le plaisir de le porter sur le devant de la scène, puisque c’est cela son désir. Ne meurtrissez point votre cœur : le divertissement de ce soir restera entre nous. Et pourquoi ne pas y prendre notre part, chacun, et nous divertir aussi en prenant quelque rôle à notre mesure ? Allons vite nous préparer.

Duralin (à Pipelune) - Le voulez-vous ?

Pipelune - Oui, puisque mon oncle nous conduit.









Épilogue

C’est une cérémonie burlesque d’un homme qu’on intronise marchand d’art. Plusieurs personnages, habillés en artiste-peintre telle que l’imagination du metteur en scène lui dicte, préparent la scène en posant ici et là des chevalets et des toiles de telle façon que le public assiste à l’avancement des œuvres qui se feront pendant la sorte de ballet qui va suivre. Quinquin, Pipelune, Duralin, Cotimédone, Rigoberte entrent habillés en artiste-peintre, pinceaux et palette en mains, et se mettent à peindre. Odilon - vêtu à la manière des marchands d’art - jouera les juges, allant d’une toile à l’autre, mimant des sentiments, distribuant les conseils. Messieurs Jambrouil et Cabrioleur vont et viennent s’offusquant de ce qui se passe, imités bientôt par les Fifrelet. Monsieur Tarlouse va d’un peintre à l’autre, offrant ses services. Ducarine s’arrache les cheveux dans un coin.




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